Bourse de Commerce-Pinault Collection : un chantier de restauration titanesque
L’enjeu de toute restauration, concernant un bâtiment dont la construction s’est échelonnée sur plusieurs siècles, est de définir « l’état historique de référence susceptible d’apporter une cohérence à l’ensemble du projet », explique Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques, en charge de la Bourse de Commerce. Pour cet édifice élevé entre les XVIe et XIXe siècles, c’est la date de 1889 qui a été retenue. Non parce qu’elle correspond à l’anniversaire de son inauguration, au moment de l’Exposition universelle. Mais parce que sa longue histoire, fusion de strates successives, s’est cristallisée à cette époque, composant alors « une grande œuvre aboutie ».
Un hommage rendu au XIXe siècle
« Choisir de rétablir l’état de ce moment-là, reconnaît l’architecte, est un hommage rendu au XIXe siècle qui a façonné le centre de Paris et aux pionniers qui, comme Malraux, ont défendu ce patrimoine. » Car il ne faut pas oublier que la Bourse de Commerce a failli disparaître dans le sillage de la destruction des halles voisines érigées par Baltard. La date de référence ne s’est pas imposée d’emblée : études archivistiques et architecturales, analyses documentaires et prélèvements ont permis de prendre un parti. Une chose est sûre : en 1889, bien que dénaturé par différentes affectations, l’édifice rassemblait des éléments essentiels. À commencer par l’élégante colonne cannelée qui flanque toujours le bâtiment. Sauvée de la démolition de l’hôtel de Soissons construit au XVIe siècle pour Catherine de Médicis, elle fut jugée si exemplaire qu’elle fit l’objet d’un classement en 1862.
Les échafaudages, un système complexe
pour la restauration de
la verrière et du panorama. © Patrick Tourneboeuf Courtesy Bourse de Commerce – Pinault Collection
La Bourse de Commerce renfermait surtout des vestiges de la halle aux blés, édifiée par Nicolas Le Camus de Mézières dans les années 1760, et de la spectaculaire coupole en fonte de fer qui la coiffe depuis 1812, conçue par Bélanger. Sa conception révolutionnaire explique qu’elle fut l’un des rares éléments conservés par Henri Blondel lorsqu’il fut chargé de convertir la halle en bourse des marchandises. Face à un tel patrimoine, la restauration ne pouvait qu’être la moins interventionniste possible. « Cette volonté d’effacement fait écho au caractère radical et minimaliste du geste de Tadao Ando, justifie Pierre-Antoine Gatier. On ne peut pas séparer un projet de conservation de l’usage nouveau qu’il doit développer. »
Interventions conservatoires
Mais revenons à la restauration. La colonne Médicis, ébranlée par les chantiers des Halles et du RER, a été stabilisée. Ses ornements antérieurs à 1889, bûchés pendant la Révolution ou malmenés par le temps, n’ont pas été restitués, simplement consolidés. En revanche, une fontaine posée sous l’Empire a été remise en service. La façade de l’édifice, en calcaire de Saint-Leu, a été dépoussiérée et déplombée. Dans un souci d’authenticité, les remplacements de pierres ont été limités et les joints anciens conservés. Aucune patine décorative n’a été appliquée. À l’intérieur, pour récupérer les volumes initiaux, les cloisons et planchers liés aux activités passées de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ont été évacués ; cela a entre autres permis de redécouvrir, au rez-de-chaussée, une peinture oubliée, accrochée dans la salle des pas perdus. Cette toile marouflée, figurant un atlas des routes maritimes, encadrait une cheminée disparue. Fortement endommagée, elle a fait l’objet d’une soigneuse restauration dans laquelle « en accord avec la philosophie de l’opération, les parties manquantes n’ont été que suggérées, comme s’il s’agissait du dessin préparatoire d’un artiste », précise Alix Laveau, responsable de la restauration des peintures.
Restauration de la verrière, Bâche de protection en décembre 2017. ©Patrick Tournebœuf/Courtesy Bourse de Commerce – Pinault Collection
Dans le corridor circulaire entourant le cylindre de Tadao Ando, ébénistes, ferronniers et menuisiers sont intervenus pour remettre en état vingt-quatre vitrines de verre et de bois, utilisées auparavant par les fabricants et les commerçants comme supports publicitaires. Elles fournissent désormais des éléments de scénographie pour exposer les œuvres de la collection Pinault. Au sous-sol, on trouve même une salle des machines qui, au XIXe siècle, servait à produire du froid pour alimenter les chambres froides des halles. Conservée elle aussi, au titre de témoignage du Paris industriel. Mais l’enjeu le plus emblématique de cette restauration portait sans aucun doute sur la coupole de Bélanger. Des reconnaissances par drones ajoutées aux relevés attestaient un exceptionnel état de conservation de sa charpente métallique, à l’exception d’une entretoise rompue. La structure a cependant dû être renforcée, sans modification de son aspect, afin de recevoir une nouvelle verrière. Les produits verriers à haute performance qui composent dorénavant celle-ci, capables notamment de protéger le panorama peint et les œuvres exposées des méfaits de la lumière, sont en effet plus lourds que les précédents. Quant à la toiture, elle a retrouvé son aspect du XIXe siècle grâce à la pose de quarante-quatre mille ardoises et d’ornements de zinc, redessinés et réestampés sur la base de photos d’époque.
Restauration de la fresque, reprise des lacunes sur le panorama en juin 2018. © Patrick Tourneboeuf, Courtesy Bourse de Commerce – Pinault Collection
La restauration du panorama
En point d’orgue évidemment : le panorama, spectaculaire. Sur dix mètres de hauteur et cent quarante de largeur, il célébrait les échanges de marchandises entre les continents, témoignage d’un temps révolu. Malgré une restauration datant de 1995, la récente intervention, exécutée par une vingtaine de professionnels, s’est révélée complexe, s’agissant d’une peinture soumise aux rayons ultraviolets. Durant près de huit mois se sont succédé différentes phases : décrassage, suppression des repeints, vernissage, retouches réalisées avec des matériaux réversibles tels qu’aquarelle et crayon, atténuation des « fantômes », comme on nomme les marques imprimées sur la toile par les structures métalliques de la charpente de Bélanger.
La restauration a permis de comprendre le mode opératoire des cinq artistes qui ont œuvré à ce décor unique. « Les peintres travaillaient seuls dans leur atelier, chacun selon son style, décrit Alix Laveau. On a pu établir une cartographie des découpes des lés de leurs toiles, recomposer le déroulé chronologique de leur installation sur place en fonction des superpositions, sachant que les parties supérieures du ciel ont dû être appliquées les premières, avant les registres inférieurs. On sait aussi que certains ont fini leur travail in situ, après la phase de marouflage. » À l’issue d’un long chantier, la Bourse de Commerce version Pinault offre un regard neuf sur cet édifice multiséculaire.
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