Dieu, Darwin et la plume de paon : le musée d’Orsay explore l’influence des sciences naturelles sur l’art du XIXe siècle [compte-rendu]
À la croisée des arts et de la science, l’exposition « Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXe siècle », au musée d’Orsay, annonce d’emblée la couleur : la somptueuse toile Après le déluge du Napolitain Palizzi qui accueille le visiteur promet qu’ici, il y aura autant à voir qu’à comprendre ! Paysage paradisiaque abritant des dizaines d’espèces animales, voici « le monde d’avant », le monde clos tel que Dieu l’a créé, tel que Bruegel le Jeune l’a peint. Les théories de l’évolution, de Lamarck à Darwin et Haeckel bouleversent cette vision biblique, interrogeant les origines de l’homme, sa place dans la Nature, ses liens avec les animaux.
Art et science en résonance
Suivant ce fil conducteur, chaque étape de l’exposition confronte les avancées scientifiques et leur parallèle dans l’imaginaire des artistes. Nés à la Renaissance, les cabinets de curiosités des princes et humanistes lancent la description minutieuse du vivant, prémices à l’Histoire naturelle de la fin du XVIIIe siècle. Les animaux exotiques ramenés des voyages d’exploration inspirent les artistes. Une section consacrée à « L’Antiquité du monde » montre comment la géologie, révélant à l’aube du XIXe l’ancienneté de la terre, alimente la sensibilité des grands paysagistes, de Carus à Turner ou John Martin.
Plus tard dans le siècle, l’évolutionnisme impose un arbre généalogique buissonnant, liant toutes les espèces entre elles. L’iconographie du singe, brillamment illustrée par Gustave Moreau ou Gabriel von Max, jusqu’au « King Kong », film de 1933, révèle le trouble engendré par les origines simiesques de l’homme. À la fin du XIXe siècle, la théorie de la « récapitulation » de l’évolution des espèces (phylogenèse) dans le développement de l’embryon (ontogenèse) inspire aux symbolistes d’inquiétants hybrides, des sirènes de Böcklin au bestiaire fabuleux du sculpteur Jean Carriès.
Au commencement était la Nature
Un focus sur la plume de paon permet d’évoquer le thème du fondement naturel de la beauté, développé par Darwin dans sa théorie de la sélection sexuelle. La « Nature artiste » est aussi à l’œuvre dans le monde de l’infiniment petit, dans les formes les plus simples de la vie, les créatures des fonds marins, offrant aux grands créateurs de l’Art nouveau comme Gallé ou Tiffany un répertoire inépuisable de formes nouvelles. En réaction à la « naturalisation » de l’homme, la quête d’une spiritualité nouvelle accompagne la naissance de l’art abstrait, avec Kupka, Kandinsky, Mondrian ou Hilma af Klint.
Après avoir évoqué les dérives criminelles du darwinisme, symbolisées par le terrifiant « Puissance aveugle » de Schlichter (1937), l’épilogue montre une Nature nourricière (peinte par Léon Frédéric) mais indifférente au sort de sa progéniture, menacée par la Sixième extinction des espèces et le réchauffement du globe.
Coup de foudre
par Céline Lefranc
Pour reprendre un slogan à succès, on trouve de tout dans cette exposition du musée d’Orsay ! Un Jardin d’Eden de Jan Brueghel, un aquarium d’Edouard Lièvre, des pieuvres en verre, des hommes préhistoriques en deux ou trois dimensions, des monstres de Jean Carriès, des vases de Gallé, de sublimes Odilon Redon et bien sûr L’Origine du Monde de Courbet, qui a donné son titre à l’événement. Bref, l’exposition devrait plaire à tous les publics, qu’ils soient intéressés par le propos scientifique, ou non. Nous vous encourageons à y emmener vos enfants ou petits-enfants (disons à partir de 8 ans, quand ils sont fans de dinosaures) qui, s’ils passent à côté des textes sérieux sur la théorie de l’évolution ou la quête de spiritualité dans l’art, pourront tout savoir des premiers animaux sauvages exhibés en Europe, comme le rhinocéros Clara arrivé en Angleterre au XVIIIe siècle, ainsi que sur le premier parc à thème dédié aux dinosaures, créé à Londres en 1854, qui préfigure Jurassic Park…
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