ENTRETIEN. Tadao Ando « la Bourse de Commerce symbolise le sol fertile d’où jaillit la culture de la ville »
Après trois années de rénovation hors du commun, la Bourse de Commerce-Pinault Collection a enfin ouvert ses portes le 22 mai. De l’ancienne Halle aux blés au nouveau musée d’art contemporain, comment l’architecture de ce nouveau lieu de culture parisien s’est-elle adaptée pour allier l’ancien et le moderne, le passé et le présent ? À l’occasion de l’ouverture de la Bourse de Commerce-Pinault Collection, Connaissance des Arts s’est entretenu avec l’architecte japonais Tadao Ando, partenaire fidèle de François Pinault, qui a réalisé un cylindre de béton dans le monument.
Vous êtes un connaisseur de l’histoire de l’architecture. Quel a été votre sentiment sur les qualités du lieu lors de votre première visite de la Bourse de Commerce ?
En 1968, lors de mon deuxième voyage en Europe, j’ai visité le quartier des Halles. Les halles de Baltard étaient toujours debout, avec leur structure en métal et en verre. On pouvait apercevoir une belle coupole à l’extrémité ouest de ce site que l’on nommait, au XIXe siècle, « le ventre de Paris ». C’était ma première rencontre avec ce monument. Par coïncidence, mon ami, le styliste Issey Miyake, qui se formait en France à la même période, a organisé son premier défilé parisien à la Bourse de Commerce. Lui aussi semblait avoir une affection particulière pour ce bâtiment.
Le Passage. Ce couloir circulaire est ponctué de vitrines du XIXe siècle. Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier Photo Maxime Tétard, Studio Les Graphiquants, Paris
Peu après, dans les années 1970, les halles de Baltard ont été détruites et le quartier est entré dans une longue période de transformation jusqu’à devenir le Forum des Halles. Mais la Bourse de Commerce, elle, est restée inchangée depuis cinquante ans. Quand je l’ai visitée, avant que le projet ne commence, elle était encore utilisée par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Les peintures de la coupole, qui illustrent les grandes aires du commerce mondial, étaient belles et touchantes. La culture, qui enrichit la vie humaine, se nourrit de l’histoire de la communauté au sein de laquelle le bâtiment a pris place, et d’une accumulation de souvenirs. La Bourse de Commerce symbolise le sol fertile d’où jaillit la culture de la ville.
Avez-vous hésité avant d’accepter ce projet, qui s’annonçait compliqué en raison des nombreuses exigences pesant sur un tel monument historique ?
Avant la Bourse de Commerce, j’ai travaillé pour François Pinault à la rénovation de trois bâtiments historiques à Venise, principalement la Pointe de la Douane (Punta della Dogana). Et avant cela, j’avais participé à plusieurs projets de rénovation à grande échelle depuis la fin des années 1980. J’étais donc bien conscient des difficultés, en même temps que du potentiel créatif, et je n’ai eu aucune hésitation sur cet aspect du projet. En fait, j’avais même eu le pressentiment très fort que j’allais avoir une nouvelle opportunité de créer à Paris avec François Pinault. Vingt ans auparavant, j’avais travaillé pour lui sur le musée de l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt. La Bourse de Commerce représentait un défi nouveau et enthousiasmant.
La Bourse de Commerce-Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier
Vous avez dit que « chaque lieu possède un caractère distinctif unique ». Quel est, selon vous, celui de la Bourse de Commerce ?
Son caractère distinctif, c’est le poids de son histoire sculpté dans l’espace. Pour en tirer le meilleur parti, j’ai créé des relations entre l’ancien et le nouveau afin de les confronter en tant qu’entités indépendantes, sans additions ni actualisations superficielles. Cela catalyse un dialogue stimulant entre le passé et le présent, évoquant une nouvelle vie pour le bâtiment.
Vous ajoutiez que, à chaque fois, votre but est de « trouver une solution architecturale appropriée pour exprimer l’identité du lieu ». Le cylindre est-il cette solution ? Est-il apparu dès le début du projet ?
Afin de mettre en œuvre le dialogue entre passé et présent, j’ai régulièrement expérimenté les structures imbriquées. Le nouveau à l’intérieur de l’ancien, que ce soit à Venise ou à Paris. Il s’agit de laisser le bâtiment existant tel qu’il est et d’y insérer un élément contemporain. Une architecture dans l’architecture.
La nouvelle architecture doit être suffisamment forte pour tenir tête au poids écrasant d’un monument historique. Je trouve cette force dans la pureté de la géométrie élémentaire, dans les solides de Platon. À la Punta della Dogana, à Venise, la galerie principale est un carré inscrit au centre du bâtiment qui épouse la forme de l’île, à l’entrée du Grand Canal. À la Bourse de Commerce, un cylindre prend place au cœur de l’édifice.
La structure de ce dernier est un nœud de la symétrie qui imprègne l’urbanisme parisien. Elle incarne une énergie centripète et, au centre de la rotonde, un nouveau cercle apparaît, soutenu par une technologie moderne. Le chevauchement de cercles concentriques trouve un écho et se répand à travers le temps et l’espace, de l’intérieur vers l’extérieur, de l’architecture à la ville, du passé au présent, et vers l’avenir. Cette solution architecturale n’a été possible que grâce au site de la Bourse de Commerce.
Jeux de lumière avec la coupole de verre construite au début du XIXe siècle. ©Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier Photo ©Marc Domage
Vous utilisez souvent des formes cylindriques dans vos projets, comme l’Espace de méditation à l’Unesco. Y a-t-il dans votre esprit des significations symboliques associées au motif du cercle ?
François Pinault a décrit un jour le musée idéal comme « une architecture qui combine les qualités d’une cathédrale gothique et d’une chapelle romane avec une présence majestueuse et un espace serein, introspectif ». L’espace cylindrique de la Bourse de Commerce a été conçu comme une réponse à cette attente.
La lumière occupe une place essentielle dans la conception de vos projets – son orientation, sa modulation, son jeu sur les surfaces. Ici, comment avez-vous abordé la source de lumière imposée qu’était l’oculus de la coupole ? Était-il important que chaque portion du cylindre soit touchée par la lumière naturelle ?
Quand on pense à la lumière, viennent tout de suite à l’esprit l’existence d’un mur qui reflète cette lumière et le matériau qui forme ce mur. Dans l’espace cylindrique de la Bourse de Commerce, ce matériau, c’est le béton. J’insiste sur l’usage du béton parce que j’aime la possibilité de donner naissance à un monde unique à partir de moyens d’une grande souplesse. Pour moi, une surface de béton lisse, obtenue par la main de l’homme à l’issue d’un travail très dur, constitue la meilleure toile pour attraper la lumière naturelle, pour exprimer le pouls changeant de la nature.
Comme au Panthéon à Rome, la lumière qui coule au-dessus de nos têtes reflète les changements d’heure et de saison. La géométrie de l’espace et l’expression des murs symbolisent la volonté humaine de créer. Sous cette lumière, le passé et le présent, l’art et la nature, l’architecture et la ville entrent en collision et fusionnent, nourrissant un espace ouvert à l’imagination. La lumière donne vie à l’espace. L’expérience spatiale la plus forte dans cette architecture, c’est de parcourir la « rue » intérieure, entre le cylindre de béton et la façade de Blondel, et de regarder tomber les faisceaux de lumière.
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