Les maîtres de l’estampe : le japonisme chez Bonnard dans la Petite blanchisseuse
Devant cette fragile silhouette, le spectateur hésite. S’agit-il d’une enfant ou d’une vieillarde ? Non pas vêtue de blanc mais tout de noir, La Petite Blanchisseuse est bien l’un de ces invisibles visages de l’enfance au travail au XIXe siècle. Si les romanciers naturalistes et les peintres réalistes (tels que Daumier et Degas) ont souvent représenté la condition ouvrière, rares sont ceux à choisir des modèles aussi jeunes. Bonnard aborde le thème sans misérabilisme, ce qui ne veut pas dire sans gravité. Saisie de dos, la petite travailleuse avance dans la rue, son lourd panier empli de linges au bras. Bonnard livre une scène banale de la vie parisienne, saisie à la volée, comme en témoigne la présence du petit chien.
Solitude et japonisme
Cette lithographie est remarquable en raison de la modernité du cadrage choisi par l’artiste nabi surnommé le « japonard ». En effet, Bonnard s’inspire directement des estampes japonaises qui faisaient fureur parmi les artistes modernes parisiens depuis 1878. La perspective est construite à l’aide des deux diagonales fuyantes qui forment le trottoir, accentuant l’effet d’une marche soutenue. Dans ce plan rapproché, les pavés de la chaussée occupent la plus grande part de l’espace, le ciel et l’horizon demeurant invisibles. Cela confère au sujet un sentiment de solitude, d’isolement, d’absence d’ouverture sur un avenir. Les cinq couleurs utilisées pour cette lithographie sont sourdes, terreuses, minérales.
Pierre Bonnard, La Petite Blanchisseuse, pour l’album Les Peintres-graveurs, 1896. Lithographie en couleurs, 56,2 × 42,5 cm, Bibliothèque de l’Institut national d’Histoire de l’art, Paris
Nous sommes bien loin des parties de campagne des impressionnistes, des envolées mystiques d’un Odilon Redon ou d’un Maurice Denis ! En 1896, Bonnard n’en était pas à sa première lithographie. Depuis cinq ans, il travaillait avec enthousiasme pour le domaine de l’affiche en couleurs, ces images neuves qui enchantaient Paris. Collaborant également à cette époque à La Revue blanche, Bonnard illustre en même temps des livres et peint des œuvres intimistes. L’art lithographique, qu’il adorait, a occupé une place de choix dans son œuvre tout au long de sa carrière.
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