Picasso, Renoir, Vollard : au Petit Palais à Paris, la gravure est un jeu [compte-rendu]

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Ce préjugé est d’abord un paradoxe quand on sait que la gravure, sur bois et sur cuivre, a permis dès le XVe siècle, la diffusion en grand nombre, auprès d’un public populaire, d’œuvres d’art. L’estampe est donc tout le contraire d’un art élitiste. Autre apparente contradiction : elle nécessite la mise en œuvre de techniques sophistiquées mais ouvre le champ d’une immense liberté d’expression. Ce sont deux des révélations offertes par l’exposition « Édition limité » au Petit Palais, qui retrace le rôle majeur d’Ambroise Vollard (1866-1939) et d’Henri-Marie Petiet (1894-1980) dans la promotion de cet art de la reproduction.

Défilé de portraits

Didactique dans une certaine mesure, et surtout sans lourdeur, le parcours de l’exposition n’est jamais ennuyeux. La collection permanente du Petit Palais étant d’une richesse prodigieuse, il n’a pas été difficile de ponctuer les salles de portraits des protagonistes et de leurs amis, sans excès mais en nombre suffisant pour rendre leur présence palpable. On a donc la chance de savourer, au milieu de sa biographie chronologique, le Portrait d’Ambroise Vollard au foulard rouge (1899-1906) par Renoir ou encore celui, célébrissime, de Cézanne (1899) qui nécessita d’innombrables séances de pose. Tous les deux font partie de l’importante donation que le marchand fit au musée en 1928. Plus tard, on fait la découverte d’un excellent portrait d’Henri-Marie Petiet (1931) par Marcel Gromaire.

Portrait d'Ambroise Vollard au chat par Pierre Bonnard (vers1924), présenté dans l'exposition « Édition limitée » au Petit Palais ©Claire Delfino

Portrait d’Ambroise Vollard au chat par Pierre Bonnard (vers1924), présenté dans l’exposition « Édition limitée » au Petit Palais ©Claire Delfino

Vie d’ateliers et savoir-faire

Commissaire de l’exposition, Claire Roca a voulu ancrer la gravure dans son contexte, artisanal et urbain. L’artiste, le marchand d’estampe qui prend l’initiative de commander et d’éditer, ont besoin de l’imprimeur pour exercer son savoir-faire mais aussi pour révéler les subtilités et le vaste territoire des possibles qu’offre la technique, qu’elle soit celle de la lithographie ou de l’aquatinte. Une carte de Paris répertorie les différentes adresses de maîtres lithographes, imprimeurs, papetiers, fonderies typographiques, brocheurs. C’est toute une vie d’ateliers parisiens dont on prend conscience.

Vue de l'exposition « Édition limitée » au Petit Palais ©Claire Delfino

Vue de l’exposition « Édition limitée » au Petit Palais ©Claire Delfino

La technique, justement peut paraître incompréhensible aux non-initiés, quelques vitrines illustrent donc ce savoir-faire : pierre lithographique, vidéo, outils pour l’eau-forte, gouges, burins, pupitres de composition typographique, et impressionnante presse à taille-douce datant de 1800. Comment met-on un point final à un tirage ? En brûlant la pierre lithographique, en rayant la plaque de cuivre. Comment imprime-t-on plusieurs couleurs sur une lithographie ? En réservant une épreuve à chaque couleur. Démonstration magistrale avec l’illustration des Fleurs du Mal par Georges Rouault. Mais jamais l’aspect pédagogique ne vient gâcher le plaisir de déambuler au milieu des merveilles commandées par Vollard, reprises ou poursuivies par Petiet.

Série de Nu de profil, illustration pour Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, par Georges Rouault (1936-1938), présentée dans l'exposition « Édition limitée » au Petit Palais. Le tirage en couleurs est le tirage définitif. Celui en noir est une épreuve de décompositions des couleurs : les matrices (une couleur par matrice) sont imprimées successivement sur la feuille de papier ©Claire Delfino

Série de Nu de profil, illustration pour Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, par Georges Rouault (1936-1938), présentée dans l’exposition « Édition limitée » au Petit Palais. Le tirage en couleurs est le tirage définitif. Celui en noir
est une épreuve de décompositions des couleurs : les matrices (une couleur par matrice) sont imprimées successivement sur la feuille de papier ©Claire Delfino

Chefs-d’œuvre de papier

Sur des murs de couleur très réussis, on s’enchante de retrouver les vingt-deux planches des Maîtres-graveurs (Besnard, Bonnard, Renoir, Fantin-Latour, Munch, Vallotton, etc.) de 1896 ou L’Album d’estampes originales de la galerie Vollard, lithographies, eaux-fortes, xylographies, ou les drôles de grenouilles de Picasso, aquatintes au sucre dans Les eaux-fortes originales pour les textes de Buffon (1936). Mention spéciale parmi tant de chefs-d’œuvre à la fameuse et sublime Suite Vollard, au destin étrange : 100 estampes de techniques, papiers et formats différents demandés à Picasso par Vollard et que sa mort soudaine l’empêchera de vendre. Rachetées par Petiet aux héritiers, elles deviendront, tout au long du XXe siècle, l’objet de l’immense désir des collectionneurs.

Vue de l'exposition « Édition limitée » au Petit Palais ©Claire Delfino

Vue de l’exposition « Édition limitée » au Petit Palais ©Claire Delfino


Coup de foudre

par Céline Lefranc


Des ponts entre les arts

Ne zappez pas cette exposition sous prétexte qu’elle parle d’estampes et de livres ! Au contraire, elle ouvre des horizons. Elle révèle la passion intime de Vollard, qui a investi une énergie et des sommes folles pour éditer des lithographies en couleurs et des livres illustrés, projets plastiquement novateurs pourtant soldés par de cuisants échecs commerciaux. Grâce à une scénographie aérée très réussie, elle crée des ponts entre les arts graphiques (sublimes feuilles de Redon, Vuillard, Bonnard), les tableaux, les céramiques et les outils utilisés par les graveurs et imprimeurs. Elle raconte également la suite de l’aventure, quand, après la mort du marchand-éditeur en 1939, Henri M. Petiet a repris le fonds d’estampes et notamment la mythique Suite Vollard, constituée de cent planches de Picasso. La section consacrée à Petiet renforce la cohérence de l’ensemble. Car comme Vollard, qui a fait d’importants dons et legs en faveur du Petit Palais, les héritiers de Petiet ont aussi offert de nombreuses estampes au musée. La boucle est bouclée.

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