Le portrait fait bonne figure sur le marché du dessin
Le dessin ancien a la réputation d’être un laboratoire préparatoire à la création de tableaux. Pourtant le portrait dessiné est une œuvre à part entière de tradition ancienne. Le Portrait d’homme par Simon Vouet, présenté au Salon du dessin par la galerie de Bayser (proposé aux alentours de 300 000 euros), est dû à la volonté de Louis XIII de faire réaliser par son premier peintre un imagier d’une soixantaine de portraits de membres de sa cour. On les retrouva dans l’atelier de Simon Vouet à sa mort.
Le début d’une tradition
On ignore l’identité de l’homme représenté, mais on sait que Simon Vouet a enseigné lui-même l’art du portrait au pastel à Louis XIII et que quelques portraits réalisés de royale main ont traversé les siècles. « Ils ne sont d’ailleurs pas si mauvais », sourit l’expert en dessins anciens Louis de Bayser. Dans la seconde partie du XVIe siècle, François Clouet avait déjà réalisé toute une série de portraits de cour, entre autres d’Henri II, Marguerite de France ou Marie Stuart, à la pierre noire et sanguine. « Cela marque le début d’une tradition », remarque l’expert.
Simon Vouet (1590-1649) Portrait d’homme de profil, tourné vers la gauche Pierre noire et pastel 27,5 x 21 cm, galerie de Bayser
C’est au XVIIIe siècle que le portait sur papier connaît son âge d’or, avec le développement de l’usage du pastel, très à la mode, lancé par l’italienne virtuose Rosalba Carriera, qui fait le tour de l’Europe pour immortaliser la meilleure société. Jean-Baptiste Perronneau, Maurice Quentin de la Tour, Jean-Siméon Chardin, sont aussi des spécialistes. À la fin du siècle, Carmontelle fait sensation avec ses portraits à l’aquarelle représentant de profil des heureux du monde chez eux dans leurs activités favorites, entourés de leurs proches, presque toujours de profil. Mais si l’artiste a eu les honneurs d’une exposition récente au musée de Chantilly, il ne fait plus courir les amateurs. « Aujourd’hui Carmontelle est moins coté qu’il le fut car ce que recherchent avant tout les collectionneurs, c’est la force d’un visage, même si l’on ne connaît pas l’identité du modèle. ». Le prestige de l’exécutant passe même derrière la toute-puissance pour le marché de ce que les Américains appellent le « wall power ». « Mieux vaut le chef-d’œuvre d’un petit maître qu’un dessin médiocre d’artiste connu », renchérit l’expert et marchand Emmanuel Marty de Cambiaire.
Délit de faciès ?
Pas de délit de faciès dans l’art ancien. « Une belle feuille, tous siècles confondus, c’est une image marquante, insolite ou amusante, qui donne plaisir à la regarder et ne lasse pas. Certes la beauté d’un visage rend l’œuvre plus désirable, mais en fin de compte, c’est la personnalité qui compte. Il faut qu’il y ait de la vie dans le dessin », appuie Louis de Bayser. La gouailleuse Chanteuse de cabaret (vers 1890) de Louis Legrand, chez Antoine Laurentin, remplit ces conditions, avec son air de défi et son nez en trompette, tout comme la Fille aux cheveux noués (1887) d’Odilon Redon, ou la jolie Jeune femme (1956) de Léonard-Tsuguharu Foujita, présentée par la galerie Taménaga au Salon du Dessin, croquée à la mine de plomb dans un moment de rêverie par l’artiste, qui choisissait à la fin de sa vie ses modèles parmi les clientes des cafés de Montparnasse.
Léonard-Tsuguharu Foujita (1886-1969) Jeune femme, 1956 Mine de plomb sur papier 27 x 20 cm. Signé en bas au centre et daté en bas à droite : 25-7-56 © Galerie Tamenaga
Les amateurs de dessin sont aussi très friands de portrait d’artiste par un autre artiste, ce qui témoigne de leur gourmandise érudite. « L’italien Ottavio Leoni, au début du XVIIe siècle, a réalisé de nombreux portraits à la pierre noire et rehauts de craie, entre autres celui de Guido Reni. Ils valent entre 5 000 et 50 000 euros sur le marché », détaille Louis de Bayser. À noter que sur le marché du dessin ancien, un prix au-delà de 10 000 euros est déjà considéré comme important.
La tradition du portrait d’artiste a perduré malgré les passions abstraites de la seconde moitié du XXe siècle. La galerie Loeve & Co présente au Salon du dessin un Portrait de Mick Jagger (1969) par Patrick Procktor, artiste anglais proche de David Hockney période Swinging London. Chez la galerie espagnole Ramon art, on découvre un portrait d’Henri Fantin-Latour dans son atelier (2020), exécuté par l’artiste espagnol Pere Santilari, connu pour les dessins ultra-réalistes qu’il exécute avec son frère Josef. Le peintre est représenté sur une photographie noir et blanc dans une pose très fin XIXe. La photographie est posée comme dans un coin d’atelier au milieu des tubes de gouache. L’œuvre sacrifie au genre du portrait d’artiste et, tout comme ce Dermatologue inspiré de la Mort de Marat de David, fascine par sa mise en abyme et son tour de force technique. Deux bons points aux yeux des amateurs.
Le grand retour de la figure humaine
« Dans l’art, la figure humaine a retrouvé une place qu’elle avait perdue depuis des années », estime le galeriste Frank Prazan. Ce spécialiste des grands maîtres européens, réputé pour son tropisme vers l’art abstrait, présente au Salon une aquarelle figurative d’Henri Michaux, Au pays de la magie (1939), réalisée en parallèle au recueil de textes éponyme. Elle illustre ce terrifiant passage : « Là les malfaiteurs, pris en flagrant délit, ont le visage arraché sur-le-champ. Le mage bourreau aussitôt arrive… Le lendemain, un énorme, rond caillot croûteux s’est formé qui ne peut inspirer que l’épouvante, Qui en a vu un se le rappelle à tout jamais. » Une figure humaine difficile à regarder mais pourtant célèbre, exposée dans de nombreuses rétrospectives de l’artiste, du Guggenheim de New York au Centre Pompidou. « Elle est à la confluence du surréalisme et de l’art informel. À la veille du cataclysme de la Seconde Guerre Mondiale, elle traite, comme Jean Fautrier avec ses Otages de l’immédiat après-guerre, la figure humaine réduite à la douleur, à l’état de chose, mais qui trouve à s’exprimer au-delà des mots. Jean Fautrier, Jean Dubuffet sont dans cette même veine. Sans eux je pense, George Baselitz ne serait pas l’artiste incontournable qu’il est aujourd’hui. »
Quel que soit le type de portrait qui vous tente, conservez à l’esprit que sur le marché du dessin comme dans les autres secteurs du marché de l’art, la provenance de l’œuvre a une grande importance. La prime va aux grandes collections ou, mieux, à une œuvre inédite, comme le portrait de Simon Vouet, resté plus de trois siècles dans la même famille. Autre critère essentiel : l’état de l’œuvre. Les restaurations, déjà réalisées ou restant à faire, sont souvent des opérations risquées, car le papier est une matière fragile. Certains grands marchands sont intraitables sur l’état des « feuilles ». Si vous pensez revendre un jour votre œuvre, le » rapport d’état » est indispensable. Si l‘œuvre est très belle, très ancienne et d’un grand artiste, quelques usures peuvent être tolérées, mais partir de la fin du XVIIIe siècle et a fortiori pour des œuvres modernes et contemporaines, la perfection fait loi.
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