"S'il me l'avait dit, il n'y aurait jamais eu d'attentat": au procès du 14-Juillet, l'amant du terroriste dit son incompréhension - Nice matin

"J’étais surpris comme vous tous." Roger Battesti, 80 ans, le déclare d’emblée face à la cour d’assises spéciale de Paris. Il le répétera de diverses façons, ce jeudi après-midi: "J’étais loin, loin de savoir ce qu’il allait faire." Loin d’imaginer que son ami très intime allait commettre une tuerie de masse.

En cette huitième semaine de procès 14-Juillet, la cour tente de percer les mystères du tueur au camion, abattu par la police après avoir fait 86 morts à Nice. À ce titre, Roger Battesti apparaît comme un témoin clé. Il le surnommait "Momo", l’appelle aujourd’hui "Labouhlel". Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, pour sa part, lui donnait du "cher ami". Ce retraité niçois était le confident de "MLB". Son mentor. Et son amant.

Dans la galerie de proches du terroriste qui se succèdent à la barre, Roger Battesti détone. Ce résident niçois, né en Algérie il y a quatre-vingts ans, en paraît vingt de moins. Son visage aux traits lissés, ses cheveux d’un noir éclatant surplombent une silhouette menue, mais encore vaillante. Sans doute l’héritage des séances de muscu qui l’ont amené à croiser la route de "MLB".

"On pouvait tout lui faire faire"

"Il avait un regard de Kalachnikov." Voilà la première impression qu’a laissée "MLB" à Roger Battesti. Nous sommes dans une salle de sport, à Nice, en 2010. Il découvre un "beau gosse aux jolis yeux". "J’ai accepté de prendre un pot avec lui. C’était une personne gentille, calme. Une amitié s’est formée."

En fait, leurs liens vont bien au-delà. Malgré leurs 43 ans d’écart, Roger Battesti fréquente assidûment "MLB", partage repas et soirées avec lui, le conseille, le recadre quand il le faut. "J’avais un pouvoir sur lui. C’était une personne très influençable, avec certainement une lacune. Il m’écoutait avec un grand respect. J’étais devenu un peu son mentor. Il me demandait toujours mon avis."

Roger Battesti sympathise aussi avec Hajer, la femme de "MLB". Quand il apprend que son ami a levé la main sur elle, il l’oblige à s’excuser. "C’était un garçon faible d’esprit. On pouvait tout lui faire faire. Et il le faisait." Le président Laurent Raviot l’interroge: "Est-ce que vous représentiez pour lui une forme d’autorité paternelle?" Réponse: "Je pense, oui."

"Il avait honte d’être tunisien"

Roger Battesti savait que le père biologique de "MLB", lui, le battait très souvent. Il savait que cet enfant de M’Saken faisait peu de cas de sa famille, et de ses origines en général. "Il avait honte d’être tunisien. Il disait: 'Moi, j’aime pas les Arabes.'"

"MLB" aimait les femmes, en revanche. De manière obsessionnelle. "Il avait beaucoup de succès." Un peu moins auprès des passantes, qu’il abordait cash. Cette facette contraste avec un "Momo" "timide, très réservé, qui parlait calmement, avec une petite voix un peu cassée, comme le Parrain."

Roger Battesti, lui, aime les hommes. Naguère, il a géré un sauna gay à Paris. Il a tout de suite senti que "Momo" pouvait céder à ses avances. "Je l’ai dragué. Et ça a marché. On a eu quelques relations." Elles dureront quatre ans. Roger Battesti l’avait nié face aux policiers. Il l’a finalement confié quatre ans plus tard à notre regretté confrère Jean-François Roubaud, lors d’une longue interview.

"Je n’ai rien senti"

Les magistrats citent abondamment cet article paru dans Nice-Matin le 13 juillet 2020, ainsi que celui de Paris-Match. Roger Battesti s’est montré bien plus disert dans ces deux médias que face aux enquêteurs. L’avocat général Jean-Michel Bourlès s’en étonne. Explication: "J’étais pas bien dans ma tête, que mon ami devienne un assassin…"

Si les magistrats sondent les ressorts intimes du terroriste, c’est pour mieux comprendre son crime. Et déceler ses signes avant-coureurs. Trois jours avant l’attentat, Roger Battesti reçoit "MLB". Il voit bien que son ami se renferme. "Momo, tu rigoles plus comme avant?" "C’est rien, cher ami", sera sa seule réponse. "Je n’ai rien senti. Il s’est bien gardé de me dire quoi que ce soit. Sinon, il n’y aurait jamais eu d’attentat. Je l’aurais arrêté."

"Il l’a fait pour qu’on parle de lui"

Le 14 juillet au soir, Roger Battesti se couche à 21 heures. Il habite près de la Prom’, entre la caserne Magnan et l’hôpital Lenval. Avec ses boules Quies, le retraité n’entend rien, malgré les "sirènes hurlantes pendant des heures", dixit Me Philippe Soussi. Il n’apprend l’impensable nouvelle qu’au réveil. "Je suis tombé de très haut…"

Peu à peu, tout lui revient. Cette violence qu’il a découverte chez "MLB", quand son ami a frappé un automobiliste. Cette vidéo de décapitation "insoutenable" qu’il lui a montrée quelques mois plus tôt. Ce permis poids lourd qu’il lui a payé, aussi. Et sa crainte qu’il ne soit influencé par de mauvaises personnes. "Il me disait: 'T’inquiète pas, mon cher ami. Ma vie, c’est de faire l’amour.'" Au final, "MLB" a semé la mort. "Pour qu’on parle de lui", pense Roger Battesti.

"Est-ce une relation que vous regrettez?", lui demande Me Vincent Brenghart, avocat de Walid Ghaieb. "Je regrette évidemment beaucoup ce qui s’est passé. Si je l’avais su, il n’y aurait jamais eu de relation", martèle le retraité. Fin de 2h30 d’audition. Le président demande aux gendarmes de raccompagner le témoin, pour "qu’il ne soit pas importuné".

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